Lundi 13 juin 2016, le conseil d’administration de la SACD a remis le Prix Nouveau Talent Musique à Benjamin Dupé.
Voici le texte que Louis Dunoyer de Segonzac, Vice-Président en charge de la musique, a écrit pour l’occasion.
«
Fantôme, un léger roulement… et sur la peau tendue qu’est notre tympan…
Que de fois lit-on, à propos de tel ou tel artiste, que c’est un ovni, qu’il est inclassable. À tel point que ces jolis qualificatifs en perdent leur sens. Qu’à cela ne tienne : lorsque nous, auditeurs et spectateurs, prenons place, assis en carré sur des coussins, les pieds effleurant un espace recouvert de sable blanc, lorsque la lumière descend, lorsque le silence se fait, quelque chose de tout à fait unique s’apprête à se produire tout autour de nos tympans fascinés. A l’ère des décibels outranciers, un simple papier de soie, de minuscules débris de coquillages nous invitent à écouter l’effet que produisent sur eux des infrasons que nos oreilles humaines n’entendent pas. Le papier de soie, lui, les perçoit et semble frémir d’un bonheur qu’il nous invite à partager. De longs toboggans en bambou, venus d’on ne sait où, guident la descente de petits cailloux aux formes irrégulières qui, au gré de leur douce dégringolade, émettent des sons délicats et boisés qui varient au fur et à mesure qu’ils s’approchent puis s’éloignent de nos tympans. Gouttes d’eau, cascades de sable ou de riz sur de fines cymbales dorées, enceintes acoustiques jouant à la balançoire: Benjamin Dupé a imaginé, fabriqué puis fait fonctionner en symbiose, avec la précision d’un horloger, tout un instrumentarium étrange qui nous envoûte délicieusement…
Quelques rues plus loin, quelques heures plus tard, une autre expérience musicale : Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières, du même Benjamin Dupé. Le même ? Pas tout à fait. Pas d’objets sonores insolites, cette fois-ci, mais une présence humaine, un quatuor à cordes, un vrai, en chair, en os et en cœur : le quatuor Tana. Un comédien : Pierre Baux. Et un texte, celui de Pascal Quignard : La Haine de la musique. Difficile d’imaginer deux œuvres plus dissemblables. Pourtant, le lien est immédiat : «Il se trouve…» traite de l’agression dont nos oreilles sont les victimes quotidiennes, tandis que «Fantôme…» nous réapprend à savourer la beauté des sons, avec une prédilection particulière pour les plus subtils.
Benjamin Dupé est-il un ovni ? Est-il inclassable ? Certes oui. Mais, vous l’avez compris, il est d’abord et avant tout un poète du son.
»
Louis Dunoyer de Segonzac